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RABIH KAYROUZ : « MON VÊTEMENT EST UNE CONSTRUCTION »

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RABIH KAYROUZ : « MON VÊTEMENT EST UNE CONSTRUCTION »

Aussi essentielle que contemporaine, aussi confidentielle que démocratique, la Maison Rabih Kayrouz est de ces griffes qui pensent la mode de demain.
Ligne, vision, exigence… le grand couturier Rabih Kayrouz m’a fait des confidences.

 

RENDEZ-VOUS CHEZ RABIH

Rabih Kayrouz m’accueille chez lui, et les cloches de l’église Saint Sulpice résonnent alors qu’il m’installe sans chichis. À volonté ? Du zaatar, du pain, des fraises et du café. Je suis le travail de Rabih Kayrouz depuis ses débuts. Lors de son premier défilé parisien j’étais là, au fond à droite près de la porte coupe-feu, après avoir fait des pieds et des mains pour qu’on me laisse entrer. C’était il y a 12 ans, ce serait impossible aujourd’hui mais, merci la vie, j’ai été éblouie.

Les cloches sonnent, nous trempons notre pain dans le zaatar et tout est là. Le plus parisien des couturiers libanais, maître monacale, grand couturier de l’épure, est si simple que mes bras me semblent encombrants, que je m’enlise dans d’interminables remerciements jusqu’à ce qu’il me colle une fraise dans le bec et yalla. Je me dis qu’il est patient.

Rabih Kayrouz m’a raconté sa vie, comment de petit garçon de la montagne libanaise on devient grand couturier. Son admiration pour les coupes de Yohji Yamamoto, les drapés d’Azzedine Alaïa, la « nouvelle couture » de Christian Lacroix et la couleur, sans doute. Puis le déclic Jean-Paul Gaultier : « Il m’a donné confiance. Je me suis dit I can do it ».

Le grand couturier libanais Rabih Kayrouz au travail

Rabih Kayrouz (© Cherine Jokhdar)

L’enfant du pays.

Rabih Kayrouz vient d’un petit village près de Jounieh. Il a toujours su qu’il voulait être couturier. « À l’âge de 12 ans, on m’a demandé ce que je voulais faire quand je serai grand. J’ai répondu « styliste-modéliste ! ». Rien ne l’y destinait, et pourtant. La guerre du Liban fait rage, Rabih débarque à Paris, sans escale. « Je n’avais alors jamais connu de ville », me dit-il. Après de brillantes études à l’École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne et des stages non moins brillants (Dior, Chanel), le conflit se calme et il retourne au Liban. « Ce n’était pas prémédité mais j’ai voulu rester. Participer comme je le pouvais à l’émulation de la reconstruction du pays ».

Et d’improviser un atelier avec deux voisines pour créer des robes de mariées spéciales clientes exigeantes, mais de celles qui cherchent quelque chose de différent. « On avait le même âge ! On s’amusait ! ». Ça a duré 10 ans. Après Beyrouth, Rabih revient à Paris pour lancer le prêt-à-porter. C’était en 2009. Aujourd’hui, la capitale de la mode l’acclame. Il est l’enfant du pays.

DE « GESTE PREMIER » À GRAND COUTURIER

House Of Dana : Il y a quelque chose de très parisien dans ce que vous faites…

Rabih Kayrouz : Je suis venu à Paris parce que c’était chez moi, je ne me sentais pas étranger. Et je cherchais cette façon de voir un vêtement dans la ville. J’avais envie de voir des vêtements portés dans la rue et c’est là où, au bout de 10 ans de couture au Liban, je me suis dit «  je veux lancer mon prêt-à-porter ». Paris était une évidence parce que c’est là où je pouvais le faire.

HOD : D’ailleurs, vous vous êtes très vite démarqué grâce à un style hyper particulier.

RK : J’avais cette « main » très « couture »… Mais dès le départ, ma volonté était de faire un vêtement de ville avec une émotion. La même attention qu’on amène à un vêtement de haute couture. Pour moi, la couture n’est pas un lifestyle, c’est un savoir-faire. Et c’est ce savoir-faire qui m’attire.

HOD : Vous ne faites pas de différence entre le prêt-à-porter et la couture dans le travail ?

RK : Non, pour moi la différence se fait parfois sur certaines techniques très « exceptionnelles », qui prennent plus de temps, qui ont besoin d’un ajustement ou d’une construction particulière. Dans ce cas, ce sera automatiquement un vêtement haute couture. Mais pour moi, ça reste un vêtement.

HOD : Dans le prêt-à-porter comme dans la haute couture, on reconnaît justement un vêtement Rabih Kayrouz à ce je ne sais quoi de très aérien, comme si le vêtement tenait tout seul. D’où cette technique vous vient-elle ?

RK : C’est le cas depuis ma première robe ! Il y a eu une sorte de « geste premier », qui, je crois, venait de ma « non-confiance. »

Maison Rabih Kayrouz runway

Maison Rabih Kayrouz Couture AH20; Maison Rabih Kayrouz RTW AH19 ; Maison Rabih Kayrouz Couture AH18

HOD : C’est-à-dire ?

RK : Devant la cliente, la seule chose que je maîtrisais… c’était moi. Je ne pouvais pas déléguer, je devais faire le vêtement devant elle. À 24 ans, c’était très intimidant de me retrouver devant une cliente qui voulait une superbe robe. Il fallait la séduire. Alors plutôt que de me laisser intimider, j’ai apprivoisé le tissu en direct et maîtrisé mon geste. J’ai toujours le même.

Il y a eu une sorte de « geste premier ».

HOD : En fait, vous ne montriez pas de dessins, vous y alliez direct…

RK : Exactement [rires]. Je travaillais directement mon tissu sur le corps de la cliente. Ça m’a donné confiance et créé de grandes complicités. Ce style « architectural » vient de là, je crois. En fait, je vois mes vêtements comme des constructions.

HOD : Il y a une grande tradition haute couture au Liban. Que venaient chercher ces jeunes femmes chez vous ?

RK : La différence. Elles voulaient des robes pas du tout lourdes, pas du tout chargées, des robes dans lesquelles elles pouvaient s’amuser… Et surtout, c’était des pièces uniques ! J’ai fait le calcul : je me rends compte qu’en 10 ans de couture à Beyrouth, de 1998 à 2008, j’ai créé 300 robes uniques. Mais vraiment. Il n’y en pas une comme l’autre. Et quand je les revois aujourd’hui, je me dis que j’aurai pu les concevoir hier, à l’identique.

HOD : Elles sont intemporelles, quoi.

RK : Oui, et j’en suis vraiment fier.

HOD : Il y a un code signature qui vous suit depuis vos débuts, depuis les robes de mariée à Beyrouth jusqu’au prêt-à-porter et la haute couture à Paris, c’est le fait qu’il y ait très peu d’imprimés chez Maison Rabih Kayrouz, peu d’embellissements…

RK : C’est vrai.

HOD : Pourquoi cette démarche très « monochrome » ?

RK : Parce que ça m’encombre ! Ça m’encombre la tête et ça perturbe la forme. Moi, c’est les formes qui m’intéressent. Les imprimés- parfois amusants d’ailleurs- perturbent ma coupe. Je préfère laisser prédominer la coupe et l’architecture.

Défilés Maison Rabih Kayrouz

Maison Rabih Kayrouz Couture AH20 ; Maison Rabih Kayrouz RTW PE20 ; Maison Rabih Kayrouz RTW PE17

HOD : Effectivement, c’est ce qu’on voit en premier.

RK : Oui, tu vois je n’aime pas le décor. Pour moi, l’ornement est inutile. Attention, je ne suis pas contre certains embellissements… mais ils doivent faire partie d’une structure. Quand je choisis une broderie par exemple, ce n’est pas un décor : elle tient le vêtement. C’est très technique, parfois.

Pour moi, l’ornement est inutile.

HOD : C’est ce que vous appliquez sur vos fameuses robes à rubans, par exemple ?

RK : Tout à fait. À la base, le ruban est un élément d’ornement, n’est-ce pas ? Et bien moi, je l’utilise comme une structure. Dans mes mains il devient une matière au même titre que des briques deviennent un mur. C’est un jeu, en fait. On le voit très bien dans le film « 320/38 » qui relate l’histoire de la possibilité d’une robe.

Robe Haute Couture Maison Rabih Kayrouz avec des rubans collection hiver 2021

Maison Rabih Kayrouz Haute Couture Hiver 2021

ÊTRE CONTEMPORAIN

HOD : Quel est votre rapport au temps dans le processus de création ? À une époque où le nombre de collections par marque a explosé…

RK : Il y a un temps de rendu parce qu’on doit présenter la collection à une date précise. Mais sinon, je me fiche de la cadence aussi bien que des tendances… je vis et me présente comme un contemporain.

HOD : Vous n’êtes pas nostalgique ?

RK : Pas du tout. J’adore le monde dans lequel on vit et ne m’inspire pas du passé. Quand tu t’inspires du passé, ce que tu veux remettre à la mode c’est bien cette note de nostalgie. C’est du « réchauffé » finalement, et je trouve ça ennuyeux. Moi, ce sont mes émotions qui me permettent de créer. Pas celles d’hier, celles d’aujourd’hui.

Je vis et me présente comme un contemporain.

HOD : À propos d’émotions, j’ai assisté à votre défilé Maison Rabih Kayrouz haute couture hiver 2020 et, à la surprise générale, il n’y avait pas de musique. Je crois que tout le public a été dérouté parce que c’est tout l’inverse des fashion show auxquels on assiste aujourd’hui, avec une surenchère de wahou effect. L’absence de musique nous a obligé à nous concentrer sur ce qu’on voyait.

RK : En fait, j’avais prévu une musique, la sono était installée, les mannequins avaient répété… Mais c’était juste après la révolution libanaise et je voulais quelque chose d’intime, de « maison », je n’étais pas dans un « mood grande fête ». Et puis j’étais en plein questionnement. Nous fêtions les 20 ans de la Maison Rabih Kayrouz et je me suis dit : « j’ai fait des défilés. Est-ce qu’il faut continuer à faire des défilés ?  Est-ce que les défilés sont importants ? ».

HOD : Du coup, vous avez coupé la musique ?

RK : J’ai décidé de ne pas la jouer quelques jours avant, mais je n’ai prévenu personne. Ni les techniciens, ni les mannequins, ni mes collaborateurs, personne. Je voulais que tout le monde soit perturbé par ça, même mon équipe.

Défilé haute couture maison Rabih Kayrouz

Maison Rabih Kayrouz Couture AH20

HOD : Comment avez-vous fait pour garder le secret ?

RK : Je les ai laissé tout installer le matin, comme si de rien n’était. Puis, dix minutes avant le défilé je dis au producteur du show : « Tu vas donner 3 coups, comme au théâtre, et il n’y aura pas de musique ». Il me dit : « Comment ça ? ». Je lui répète : « Il n’y aura pas de musique ». Et voilà… C’était assez intense. Et justement, tu te concentrais et tu ne voyais que le vêtement. C’est fou comme la musique ne te laisse pas le voir.

C’est fou comme la musique ne te laisse pas voir le vêtement.

HOD : Et puis maintenant, en plus de la musique il y a les effets spéciaux…

RK : Oui, moi j’ai toujours critiqué ce genre de défilés. Enfin, à quoi sert le défilé ? Au départ, c’était organisé dans des salons, c’était interminable mais c’était la seule façon de voir le vêtement, de le sentir et de l’acheter, donc c’était utile.

Puis il y a eu les années 80 avec le switch des « défilés-spectacles » ce qui était assez utile également car c’était un nouveau mode d’expression et une façon de faire partager l’émotion de son travail. Thierry Mugler aurait-il existé sans ses « défilés-spectacles » ? Je ne sais pas. Et ça continue aujourd’hui, avec toujours plus de spectaculaire.

[NDLR : un ange passe] 

Ma décision est prise : je n’ai plus envie de faire de défilés. Je savais que ce serait mon dernier défilé, et je suis content que ce soit celui là.

VOIR LE VÊTEMENT AUTREMENT

HOD : Comment ? Vous n’allez plus faire de défilés ?!

RK : Je ne pense pas. Si tu me parles des saisons à venir, je te dis « non, je n’ai pas envie de défiler ». Je veux montrer mon travail autrement.

Je n’ai plus envie de faire de défilés.

HOD : Comment ?

RK : J’aime montrer mon vêtement, et, avec les nouveaux outils dont on dispose, on en a les moyens. Je trouve que faire venir les journalistes au showroom pour voir le vêtement est assez intéressant, parce qu’elles les essayent directement et toute l’expérience change. Une journaliste de mode, par exemple, était venue au défilé et avait posté la photo d’une robe qu’elle avait adorée. Un mois plus tard, elle passe au showroom, regarde les vêtements de près et s’exclame : « Oh ! Mais cette robe ! Je ne l’avais jamais vue, elle est géniale ! ». Et je lui dis : « Mais tu la connais, tu l’as déjà postée ! » [rires] . Elle me répond « Mais on ne voit pas comme ça pendant le défilé ! » et je lui dis « Non, il faut venir voir mon vêtement ».

HOD : Ce n’est pas de l’image, quoi.

RK : Pas du tout. Je ne pense pas « instagram friendly ». Il est fait pour être porté, c’est ça qui est important.

HOD : Que pensez-vous de la fashion week en terme de dégâts carbone, de frénésie généralisée et de rythme de travail hyper raccourci ?

RK : C’est un système que je n’arrive pas à critiquer parce que c’est avant tout une industrie qui fonctionne et qui fait travailler des milliers de personnes. En revanche, c’est une façon de faire qui ne me convient pas du tout. C’est très personnel.

Je me fiche de la cadence aussi bien que des tendances.

HOD : Vous n’avez jamais travaillé comme ça ?

RK : C’est impossible pour moi. Moi, j’ai envie de prendre mon temps pour créer, donner la possibilité à mes vêtements de mûrir, à mes coupes d’être faites, à mes détails d’être étudiés. Et je ne suis pas une machine ! Ni mon équipe, ni moi. Donc j’ai envie que ce temps soit respecté. Et que mon vêtement soit respecté. Je n’ai pas envie qu’il arrive en boutique en juin et qu’il soit « périmé » en août, qu’on doive le solder.

HOD : C’est comme de l’obsolescence programmée…

RK : Mais quelle est la valeur des choses ? Pourquoi ces soldes frénétiques? On consomme tellement qu’il faut se débarrasser de l’ancien. Comme on ne s’en débarrasse pas facilement, on le solde. Et c’est là que je ne respecte pas ce qui se passe. Ce n’est pas je que « n’aime » pas ce qui se passe ou que je ne le « veux » pas : je ne le respecte pas.

HOD : Pourquoi ?

RK : Parce que ce n’est pas logique ! Pas respectueux, justement. Encore une fois : quelle est la valeur des choses ? Pourquoi solde-t-on ? Quel est le vrai prix ? Parce que si cette chemise était à 5000 euros et qu’on peut l’acheter 500 euros, alors je ne comprends pas. Donc j’étudie mon prix, je mets le prix juste, le prix honnête, et je ne le bouge plus.

HOD : Est-ce pour cela que vous avez créé cette ligne d’essentiels -un peu comme le faisait Margiela en son temps- où vous récupérez des vêtements qui existent déjà ?

RK : Sauf que ce sont MES vêtements. Moi, je ne fais pas de recyclage. Je ne vais pas piocher dans les puces pour trouver un trench Burberry puis tout d’un coup je le déforme et hop, c’est un nouveau trench. Non !

Quelle est la valeur des choses ?

HOD : Que faites-vous alors ?

RK : Je prends MON vêtement, que j’ai pris le temps de faire. Il y a une veste que j’ai mis 2 ans à faire et elle est là depuis 2013, elle se vend tout le temps. Donc pourquoi l’abandonner ? Et pourquoi abandonner cette robe que j’ai faite en 2016 et que je n’ai pas eu le temps de vendre ? Je la reprends, je lui donne une nouvelle vie avec un nouveau tissu et elle se vend.

HOD : En fait, vous réutilisez vos propres créations…

RK : Je ne « réutilise » pas ! Je « n’abandonne » pas, c’est différent. Quand je crée quelque chose j’en suis fier, et je continue à le faire. Il n’y a pas de : « ça c’est la veste 2013 », non ! C’est ma veste, tout court. C’est d’ailleurs comme cela que j’appelle mes modèles : « la robe », « la veste », « le manteau »… C’est des signatures finalement, j’ai envie qu’elles continuent. Tu vois cette table Knoll dans mon salon ? Elle a été créée il y a très longtemps mais elle est toujours achetée, c’est la même, elle n’est pas démodée.

HOD : En plus, si on achète un top Maison Rabih Kayrouz en 2013 et un pantalon en 2018, ils marchent toujours très bien ensemble.

RK : Oui, parce que c’est mon vêtement. Quand je croise une amie ou une cliente par hasard dans l’une de mes robes, j’en connais la date exacte. Pas parce qu’elle est démodée, parce que je sais quand je l’ai faite. Mais personne ne se doute qu’elle a parfois plus de dix ans, c’est ça qui me rend fier.

Je ne « réutilise » pas ! Je « n’abandonne » pas, c’est différent.

HOD : Et il y a quelque pièces qui sont non-genrées, je trouve.

RK : Absolument. Mon vêtement est une construction.

LA « BONNE FAÇON » DE CRÉER

HOD : Pouvez-vous me raconter ce qu’il s’est passé suite à l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 ?

RK : Cette explosion a juste accéléré certaines décisions que je voulais prendre. Je me disais déjà « il va falloir changer », « je ne veux plus tirer les mêmes ficelles », « il y a autre chose à faire… » J’avais déjà passé les deux mois de confinement dans les montagnes du Liban tout en gérant mon studio à Paris à distance. Je passais en revue mes idées, j’imaginais la suite et me suis dit : « Mais enfin… j’ai des trésors ! ». J’ai remis la main sur du travail inachevé, caché, abandonné… et j’ai réalisé que je les aimais, ces vêtements. Les fournisseurs de tissu – comme le monde entier – étant à l’arrêt, l’idée fût de puiser dans le stock qui nous restait et de travailler sur ces « trésors » oubliés.

Et puis vint l’explosion du mois d’août. Comme tu le sais, j’ai été gravement blessé à la tête, me remettre de cette hémorragie a été long et difficile…

HOD : Mais vous êtes resté sur cette idée.

RK : Oui -en plus « light » pour la collection été car je n’étais pas en grande forme- mais la Maison évolue autrement. Elle évolue car la façon dont je regarde la mode a elle-même évolué. Tu vois là, nous avons pu travailler la collection hiver de la bonne façon, exactement comme je le voyais : 90% de nos patrons et tissus existaient déjà dans les « trésors », sauf qu’on leur a donné un nouveau souffle. On a refait des robes dans de nouveaux tissus et réutilisé nos tissus dans de nouveaux modèles.

HOD : C’est ça « la bonne façon » ?

RK : Je crois que c’est ce qu’il faut faire. Pas créer, sur-créer, reproduire et sur-produire.

HOD : Vous ouvrez un nouveau livre, en somme.

RK : Ça m’a vraiment beaucoup plu de travailler comme ça, je veux continuer. Et j’ai aussi envie de m’amuser avec de l’exceptionnel. Là, pour l’été, je mêle cette partie « essentiels jour » accessible à de nouvelles coupes, de nouveaux tissus, de nouvelles expériences jusqu’à des robes sur commande ultra exceptionnelles avec des techniques et des montages incroyables.

HOD : Mais vous gardez bien la Haute Couture ?

RK : Oui mais comme ça, dans cette approche là. Pour moi, c’est une collection avec différentes envies.

HOD : Vous prenez le temps. C’est votre définition du luxe ?

RK : C’est cette citation de Philippe Delerm, qui me ressemble profondément : « Je suis riche, incommensurablement riche de ce qui manque à presque tout le monde : le temps. »