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VOUS PORTEREZ CE QU’ON VOUS DIT DE PORTER

Cover vous porterez ce qu'on vous dit de porter

OK Google, je suis chafouin. Il y a quelques jours, j’ai assisté à une conférence sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la mode qui me reste en travers de la gorge. Liberté vestimentaire, je crie ton nom.

À L’ORIGINE, IL Y AVAIT LES BUREAUX DE STYLE…

..des cabinets de conseil que les marques consultaient en loucedé pour connaître à l’avance les tendances qui allaient cartonner. Nelly RodiPerclersCarlinWGSNPromostyl… pas un professionnel de la mode n’ignore le nom de ces offices de l’ombre ni l’impact de leurs fashion prophéties dans nos vies. Pour ma part, leur métier me fascine. Il n’en demeure pas moins que les tendances qu’ils murmurent à l’oreille des grandes marques nous uniformisent à la sauce sexy. Sortes d’injonctions vestimentaires du nouveau millénaire, elles sont toutes appliquées par les griffes qui veulent faire un max de fric sans prise de risque.

Résultat, tous les 6 mois, une vingtaine de tendances similaires se dessinent pendant les fashion week.

Pour l’automne-hiver 2019–2020, par exemple, Vogue.fr a recensé 20 tendances femme (« Bourgeoise », « Punk Spirit », « Eighties », « Peaux lainées », « Plumes pop », « Tailoring couture »…) chacune illustrée par au moins trois looks de trois défilés différents. Chaque marque y met sa patte, hein, mais elles essayent toutes d’être présentes dans un maximum de tendances différentes, l’air de rien, pour bénéficier de ces classements incontournables en terme de visibilité. Les rédactrices de mode s’extasient, les influenceuses valident, la fast fashion copie vite fait mal fait et toi t’achètes. Farewell la liberté vestimentaire !

COMMENT L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE MENACE LA LIBERTÉ VESTIMENTAIRE

Cette conférence, donc, avait lieux dans les locaux d’une start up parisienne bardée de prix de l’innovation. On est en marche, on est casual, on se tutoie. Tous plus crousti-mignons les uns que les autres, les ingénieurs en intelligence artificielle de cette boîte nous ont présenté leur « solution » à destination des plus grandes marques de sapes. 

En gros, les mecs utilisent la reconnaissance visuelle pour analyser des millions d’images instagram à la seconde et en extraire les tendances qui cartonnent -et vont cartonner- sur le réseau social. 

Leurs clients ? Les mastodontes Vuitton ou Adidas. Big data et deep learning permettent de suivre la performance des produits en temps réel avec des indicateurs clés (visibilité, engagement, reach, adoption, audience), de comparer la vie de produits similaires entre concurrents (benchmark), d’avoir une vision complète du marché et une parfaite connaissance des consommateurs via l’accès à leurs photos en open bar.

La promesse ? Assurer aux marques de ne jamais louper une tendance majeure repérée sur le réseau social avec tout un tas de statistiques inattaquables. Coup de tonnerre dans les bureaux de tendance ! Ces matheux en couches-culottes vont-ils leur piquer leur job ? 

Moodboard mode instagram et deep learning
Photo : Heuritech
© Heuritech

Première sur la polémique, vous vous doutez bien que je n’ai pas manqué de poser cette question, installant-là une gênance de toute beauté. 

« Oui alors, bon, euh, en fait, je dirai que, euh, les bureaux de tendances ont une vision MACRO-han, alors que nous, nous avons une approche plus complémentaire, plus MICRO, tu vois-han, euh… »

Bullshit donc parce que oui, et ça tombe sous le sens, le folklore des madame Irma de la mode façon « je vois, je vois le retour du léopard » fait bien pâle figure à côté de la big data.

Grace à nos amis les robots, les acteurs majeurs du secteur peuvent adapter leur offre à ce que veulent les gens sur le réseau social et, a contrario, revoir leur copie si, dixit l’analyse de données, ce qu’ils avaient prévu de sortir ne va pas se vendre. Côté gestion des stocks et écologie, c’est pas mal, mais…

TU LA SENS VENIR LA DYSTOPIE ?

Les « tendances-vues-sur-insta » vont se remplacer les unes les autres à un rythme frénétique et s’imposer, pour le consommateur, comme le seul choix possible. Déjà, c’est terrible de se dire que c’est un réseau social qui donne le « la » de la création et que les marques signent un pacte avec le diable au détriment de ce qui a fait leur succès : l’imagination. Si il y avait eu un algorithme dans les années 80, jamais des créateurs hors-normes comme Yohji Yamato ou Martin Margiela n’auraient pu bouleverser les codes comme ils l’ont fait. Ensuite, selon l’excellent article de Sophie Abriat pour madame Figaro « il y a autant de mathématiciens que de designers chez Zara ». On y est donc déjà, quoi. In house ou via des « solutions » comme la boîte du turfu dont je parle, toutes les griffes, pour rester compétitives, vont faire appel à la social data.

Résultat ? Plus un pantalon slim en rayon pendant une saison si l’intelligence artificielle a dit qu’il fallait faire des pantalons droits. C’est ça ou à poils, au choix.

La présentation de l’entreprise finissait sur ces mots : « Nous permettons à nos clients de créer la collection que les gens veulent ». Je ne suis pas d’accord. Quid de la liberté vestimentaire si les marques qui utilisent la big data alimentent instagram de collections elles-mêmes dictées par l’algorithme ? À part le vintage, quel choix nous restera-t-il pour avoir notre propre style ? Et les créateurs, s’ils refusent de faire appel à cette technologie, sont-ils condamnés à mourir ?

L’homogénéité nous pend au nez, donc, comme d’habitude, je voudrais vous laisser sur une note d’espoir : de l’homogène à l’uniforme il n’y a qu’un pas. Pensez-y les fashionistas.

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