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LA MARQUE DE CÉLINE DION, CETTE ARNAQUE

celinununu cover

Autant vous dire que je suis tombée de ma chaise quand l’article « Un prêtre prête des intentions sataniques à Céline Dion »m’est apparu comme par magie des confins des internets (ok, j’ai de grandes lectures). Que cette personne s’en prenne à Céline Dion, déjà, c’est non, amais qu’elle l’accuse de promouvoir les idées du Malin ça va beaucoup trop loin.

Tout a commencé au mois de novembre dernier quand la queen de la variet’ dévoila son nouveau projet : Célinununu. Comme son nom ne l’indique pas, il s’agit d’une marque de vêtements pour enfants et bébés imaginée en collaboration avec la griffe israélienne Nununu. Mais pourquoi tant de haine ? Parce qu’il s’agit de vêtements unisexes ou, comme on dit quand on est chic, « non-genrés ». Chez Célinununu, vous ne trouverez jamais de rose-pour-les-filles et de bleu-pour-les-garçons. Chaque pièce est mixte, souple, facile à enfiler et imaginée pour être portée par les filles et les garçons sans distinction.

Image campagne Célinununu mode enfant de Céline Dion
copyriht : Célinununu
Campagne de pub Célinununu ©Célinununu

L’ambition de Céline Dion ? Aider les enfants à se libérer des stéréotypes de genre et à façonner leur propre personnalité. Mouais. Il s’agit surtout d’un beau coup marketing de la diva qui n’a jamais aussi bien communiqué que depuis que son mari René n’est plus. Compagnon de 20 ans de moins qu’elle, look de luxe, apparitions ultra second degré et paparazzi déchaînés dès qu’elle se pointe aux défilés, Céline Dion a fait exploser sa cote de cool en 3 petites années. Forte d’être enfin calculée par le monde de la mode, elle frappe encore plus fort avec Célinununu. Bye-bye la has been sous le vent ! Power Céline se dit que tout est possible et se rêve en leader d’opinion militant.

Mais on ne plie pas le game de l’ascension intellectuelle en demandant à ses communicants quels sont les enjeux culturels les plus tendances du moment. Le dernier truc à la mode ? La non-binarité du vêtement. 

Plus mainstream, tu crèves, la chanteuse surfe sur la vague des questions d’identité et de genre qui obsèdent la génération instagram et fait de Célinununu une marque du turfu. Stupeur et tremblements, les réacs de tous poils crient au travestissement, Céline jubile et je reste interdite : serait-on frappés d’amnésie collective ?

TU SERAS UNE LARVE, MON FILS…

N’écoutant que mon courage, je me suis plongée dans ma dizaine d’ouvrages sur l’Histoire de la mode et du costume et il ne m’aura fallu que 10 minutes pour confirmer mon génie absolu. Célibullshit n’a rien inventé, bien au contraire. La marque réhabilite LA pratique culturelle qui domine l’occident jusqu’au début du XXème siècle : habiller filles et garçons de la même façon. Cela a-t-il pour autant favorisé l’égalité des sexes ? Petit retour en arrière…

Du Moyen-Âge au siècle des Lumières, le monde occidental considérait les enfants comme de petits êtres asexués qui grouillent et qui bavent dotés d’un corps flasque à modeler.

Indistinctement, nourrissons filles et nourrissons garçons étaient emmaillotés dans des langes bien serrés qui maintenaient les bras et les jambes le long du corps pour faire office de tuteur. Le but ? Que le corps pousse bien droit. Ces charmantes petites larves étaient également coiffées d’un béguin, sorte de bonnet censé assurer au crâne une forme normale et protéger du froid.

TOUS EN ROBE

Libérés délivrés des langes vers la fin de la première année, petites filles et petits garçons portaient tous la « robbe » avec un bourrelet autour de la tête pour les protéger des chocs.

Pratique pour se mouvoir et apprendre à être propre, la robe pour enfant de l’Ancien Régime était composée d’une jupe surmontée d’un corsage ultra-rigide censé modeler le corps et l’éduquer au maintien aristocratique.

Sympatoche. Mais pouvait-on distinguer les filles des garçons ? C’est subtil, mais oui : l’ornementation des robes de filles étaient un peu plus girly.

À partir du XVIIème siècle, c’est aux environs de 4 ans que les garçons quittent la robe unisexe pour un modèle spéciale petits mecs, la « jaquette », et, vers l’âge de 6 ans, ils balancent définitivement jupes et corsages aux oubliettes pour revêtir un habit d’homme et ne plus jamais le quitter. Véritable rite de passage à l’âge adulte, de petits machins flasques à dresser ils deviennent, en 6 ans à peine, des hommes miniaturisés et traités comme tel. La distinction des sexes et des statuts est nette.

Alors que les petits garçons portent pourpoints et chausses calqués sur ceux de leurs pères, les filles, bien que vite vêtues des mêmes robes que leurs mères, restent maintenues toute leur vie dans ce vêtement synonyme de dépendance.

Les enfants Habert de Montmor, par Philippe de Champaigne, 1649
Musée des Beaux-Arts, Reims. À gauche, l’aîné Henri-Louis, dix ans, est vêtu comme un adulte,
son frère Jean-Balthazar, sept ans, porte le même vêtement ;
à droite, les jumeaux Louis et Jean-Paul, quatre ans, portent la jaquette ;
les deux autres garçons, François, vingt-trois mois, à gauche et Jean-Louis, huit mois à droite,
portent la robe et le tablier, comme leur soeur Anne-Louise, trois ans six mois, au centre.
DR
Les enfants Habert de Montmor, par Philippe de Champaigne, 1649 (filles et garçons), © DR

GENDERFLUID ET CONSÉQUENCES

À ce stade, on peut se demander quelles sont les conséquences psychologiques et sociales d’un passage aussi brutal d’un vêtement non-genré à un vêtement genré.

En tout cas, cette non-différenciation vestimentaire aux premiers âges de la vie n’a pas engendré des hordes d’homosexuel.les en furie qui n’ont copulé avec le sexe opposé qu’au nom de la sauvegarde de l’espèce.

Peut-être même que le fait de partager un vestiaire asexué dans l’enfance a permis aux hommes et femmes de l’Ancien Régime de continuer de porter des ornements identiques (talons, perruques, maquillage, imprimés fleuris, paillettes, dentelles, rubans, rose…) sans que cela ne paraisse suspect.

Par ailleurs, dans la mesure où l’enfant n’est pas reconnu comme un individu à part entière, aucun vestiaire spécifique n’est imaginé pour lui. L’emmaillotement est considéré comme un outil orthopédique, la robe, comme un instrument de transition pour apprendre la marche et la propreté, puis subitement viennent les vêtements des grands.

On peut donc également s’interroger sur un passage aussi brutal de chose asexuée qu’on dresse à mini adulte qu’on respecte.

Plusieurs penseurs, dont Jean-Jacques Rousseau, vont s’attaquer à cette question et séduire les riches avec des thèses novatrices qui s’opposent à la « dénaturisation » des enfants et plaident pour des vêtements qui leur soient adaptés. Doucement mais sûrement, des robes moins contraignantes apparaissent ainsi que le costume « à la matelote » pour garçons qui, en plus d’avoir porté la robe moins longtemps qu’avant, adoptent ce vêtement symbole d’une nouvelle approche.

ET LA MODE ENFANT FUT

Il faudra attendre la fin du XIXème siècle et la naissance d’une mode enfantine spécifique pour que l’enfant acquière un statut à part entière. Apparition du costume de marin (le premier vêtement pour enfant ever) mais aussi développement de sous-vêtements en maille, prémisses d’une mode spéciale filles… la révolution est en marche.

Même si la robe unisexe évolue au fil des siècles (robe légère, jupe écossaise, robe d’écolier…), elle reste portée par les petits garçons, souvent avec les cheveux longs, jusqu’au début du XXème siècle (cf. vos photos de famille) pour définitivement disparaître dans l’entre-deux guerres au profit de la culotte courte (et pour plein d’autres raisons économiques que je vous épargne). Bref, farewell le vestiaire non-binaire.

Mieux : ce n’est que dans les 50’s que le rose layette est définitivement attribué aux filles… parce qu’elles sont si fragiles (cœur avec les doigts). Vous vous souvenez du dessin animé Peter Pan, de Walt Disney ? À sa sortie en salle en 1953, le petit frère de Wendy, Michel, porte une grenouillère rose layette. Scandale ! Ce bébé serait-il gay ? Walt Disney serait-il fou ? La Terre serait-elle plate ? La combi de la honte sera re-colorisée en bleu ciel avant de retrouver sa couleur originale, quelques années plus tard.

Michel Darling dans “Peter Pan” de Walt Disney, 1953, © Disney
Michel Darling dans “Peter Pan” de Walt Disney, 1953, © Disney

SAME OLD, SAME SHIT

Mais comment en est-on arrivé là ? Pourquoi tant de crispations depuis la seconde moitié du XXème siècle au point que, en 2019, Céline Dion nous fasse la leçon ? 

Scoop : le vestiaire asexué des enfants est LA porte d’entrée sur le vestiaire asexué… tout court. 

L’ensemble jean/t-shirt, premier exemple de look unisexe, n’aurait jamais vu le jour si des siècles de mode enfant non-genrée ne l’avaient précédé.

Scoop n°2 : la fonction principale du vêtement est taxinomique. Il indique à quel groupe on appartient. D’où cette préoccupation qu’avait l’Ancien Régime de transformer les mouflets en adultes au plus vite en leur faisant porter des vêtements de leur rang. C’est ce qu’on appelle une société de classe, dans laquelle, je te le donne en mille, les femmes faisaient office de sexy potiches jusqu’à ce que mort s’en suive. Pas d’hypocrisie.

Aujourd’hui, alors que les femmes ont, de haute lutte, réussit à s’approprier tous les vêtements jadis réservés aux hommes, ceux-ci vivent dans l’angoisse perpétuelle d’être taxés d’homosexuels s’ils avaient le malheur de kiffer le moindre début de jupette (cf. mon article « Je suis un homme en robe »). Mais where the fuck is l’égalité, bordel ? Nos sociétés modernes verraient-elles encore les vêtements des femmes comme des signes extérieurs de faiblesse ?

Dans l’Ancien Régime ou au XXIème siècle, avec des vêtements enfant non-binaires ou binaires, le résultat est toujours le même : les hommes au boulot, les femmes aux fourneaux. 

Tabernacle ! Ça t’en bouche un coin ça Célinette ! Et puis malheureusement pour toi, Célinununul ne fait que s’ajouter à la longue liste de marques de mode enfant non-genrées qui prônent une certaine idée de l’égalité et qui ne t’ont pas attendu pour cartonner (Bobo Choses, Mini Rodini, The Animals Observatory…).

J’ai une idée : plutôt que de nous exciter sur le choix de la moindre plume dans le cul ou jupe à fleurs en fonction du genre, ne ferait-on pas mieux de nous définir par la complexité de notre pensée ? C’est ça la liberté.

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